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Cannibal Holocaust (1980)

Cannibal Holocaust est sans aucun doute l’une des productions les plus controversées de l’histoire du cinéma d’horreur. Considérée par bien des critiques comme une œuvre barbare et amorale, ce film réalisé en 1980 par Ruggero Deodato cache pourtant, sous des dehors volontairement outranciers, un véritable propos souvent mésestimé. À la fois pinacle et point de rupture logique d’une vague de long métrages de cannibales très populaires en Italie de la fin des années 70 au début des années 80, ce pur produit d’exploitation à la confluence du film de jungle et du mondo movie provoqua un véritable tollé à sa sortie en salles. Et a même obligé Deodato à comparaître devant la justice de son pays afin d’expliciter la conception de cette œuvre éminemment dérangeante.

Quatre journalistes téméraires – et accessoirement totalement stupides – partent en expédition au cœur de l’enfer vert de la jungle amazonienne afin d’y réaliser un documentaire sur de supposées tribus anthropophages. Après quelques semaines, l’équipe ne donne plus aucun signe de vie et une mission de secours menée par l’anthropologue Harold Monroe est donc chargée de retrouver leur trace. Au terme de leur pérégrination, le groupe parvient finalement à mettre la main sur les bandes relatant le terrible destin des cinéastes disparus.


Choqué par la couverture médiatique sensationnaliste et indécente des assassinats commis par les organisations révolutionnaires d’extrême gauche italienne durant les années 70, Ruggero Deodato décide de réaliser un film pamphlétaire ayant pour but de remettre en cause la validité du regard documentaire en utilisant le cadre normé du film de Cannibale. Un sous-genre en plein boom à l’époque, depuis le succès de Au pays de l’exorcisme d’Umberto Lenzi en 1972, et que Deodato a lui-même déjà exploré en 1977 avec Le dernier monde cannibale, un film manifestement très inspiré du magnifique La proie nue de Cornel Wilde sorti en 1965.

La grande force de Cannibal Holocaust est qu’il opère la fusion entre, d’une part, l’approche pseudo-documentaire de la mouvance mondo initiée par le Mondo Cane de Cavara, Prosperi et Jacopetti en 1962 et d’autre part, la réalisation caméra à l’épaule très « cinéma vérité » héritée du travail de réalisateurs comme Gillo Pontecorvo sur l’extraordinaire La Bataille d’Alger notamment.

Ainsi, Deodato n’hésite pas à brouiller les pistes tout au long de son film en employant une technique traditionnelle du faux documentaire consistant à mélanger faits réels et fiction de manière à déstabiliser le spectateur. Il orchestre donc un film en deux mouvements bien distincts et force la mise en abîme en insérant dans sa première partie formellement très cinématographique des images “réelles” (la mise à mort de divers animaux, les images d’archives d’exécutions de dissidents politiques au Niger et en Asie du Sud-Est), alors que la seconde partie du film, intégralement scénarisée, adopte une esthétique réaliste afin de vendre l’illusion d’un film retrouvé à l’état brut et montrant des fait réels (la mésaventure du groupe de journalistes). Cette manipulation a pour effet de forcer le spectateur à adopter une posture voyeurisme, car il se trouve alors contraint d’ingurgiter des images uniformément atroces sans vraiment pouvoir distinguer la frontière entre authenticité et mise en scène.



C’est ainsi que Deodato nous interroge intelligemment sur l’objectivité supposée du documentaire et questionne même sa capacité à réécrire le réel pour en livrer non pas une image fidèle, mais plutôt une interprétation, une version forcement déformée. On retrouve d’ailleurs ce scepticisme dans la condescendance et le mépris dont fait preuve le groupe de journalistes envers les peuples “primitifs” qu’ils rencontrent. Incapables de se débarrasser des préjugés d’êtres soi-disant civilisés, inaptes à parcourir la distance intellectuelle qui les sépare de leur sujet, ils portent un regard sur l’autre et sa culture naturellement biaisé et invalide. Et le fruit de leur travail est logiquement fallacieux.


Mais ce discours ne serait rien si Cannibal Holocaust n’était pas avant tout un film d’horreur extrêmement efficace. Véritable descente aux enfers à ciel ouvert, il enchaîne les scènes éprouvantes à un rythme effréné, assommant le spectateur par sa volonté de taper là où ça fait mal avec une insistance perverse. Avançant crescendo sans jamais reculer devant la possibilité de créer la répulsion ou le malaise, cette œuvre cruelle adopte comme motif principal la surenchère de violence graphique, construisant ainsi un univers exotique cauchemardesque – dont l’atrocité est encore soulignée par l’excellente musique bucolique en contrepoint de Riz Ortolani – où tout peut arriver à tout moment. On remarque aussi dans ce film une volonté évidente de créer des moments d’horreur iconiques capables de traumatiser le public, des morceaux de bravoure clairement identifiables servant de véritable charpente au métrage.

Ces scènes extrêmes, si audacieuses et remarquables de réalisme, vaudront à Deodato d’être arrêté quelques jours après la première du film à Milan. En effet, convaincu que le film est en fait un authentique “snuff movie”, la justice italienne accuse le réalisateur du meurtre de plusieurs acteurs et le somme de s’expliquer devant la cour. Un scandale en forme de coup marketing, en partie voulu par Deodato. Lequel prend soin avant le tournage d’inclure dans le contrat de ses acteurs une clause qui les contraint à ne pas se montrer publiquement afin de renforcer l’illusion d’un film exposant des faits réels. Le metteur en scène se présentera finalement dans diverses émissions de télévision, accompagné de certains comédiens, afin de désamorcer la polémique et ainsi prouver son innocence. Plus tard, il détaillera également la conception de plusieurs effets spéciaux remarquables du métrage et montrera quelques photos de tournage, rendant invalides les accusations proférées à son encontre.


Encore interdit et censuré dans plusieurs pays, Cannibal Holocaust popularise ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de “found footage” et invente par la même occasion une nouvelle façon de vendre les films en orchestrant une impressionnante rétention d’informations dans le but d’attiser la curiosité des médias et du public. Un procédé très efficace, qu’exploitera à merveille The Blair Witch Project en 1999 pour devenir un des films les plus rentables de l’histoire. Aujourd’hui considéré comme un monument du cinéma d’horreur par une majorité d’amateurs de sensations fortes, ce film sulfureux n’a rien perdu de sa puissance et parvient toujours à révulser plus de trente ans après sa sortie. La marque d’un grand film d’exploitation n’ayant rien perdu de sa pertinence et touchant encore sa cible, aussi bien viscéralement qu’intellectuellement, malgré les années qui passent et la radicalisation progressive d’un sous-genre toujours vivace grâce à des films comme We Are What We Are, Omnivore ou plus récemment le nouveau Eli Roth, recyclant comme un clin d’œil le premier titre envisagé par Deodato pour Cannibal Holocaust : The Green Inferno.


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